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CAUSERIES DU LUNDI.

De Bonaparte, débute également par une page qui va rejoindre la dernière invocation de ce poëme des Martyrs : « La jeunesse est une chose charmante ; elle part au commencement de la vie, couronnée de fleurs, comme la flotte athénienne pour aller conquérir la Sicile… » Et le poète conclut que, quand la jeunesse est passée avec ses désirs et ses songes, il faut bien, en désespoir de cause, se rabattre à la terre et en venir à la triste réalité. Que faire alors ? On fait de la politique, faute de mieux ; la politique, pour ces grands poètes, n’est donc qu’un pis-aller, ils s’y rabattent quand les ailes leur manquent. Cette idée de M. de Chateaubriand est exactement celle de M. de Lamartine.

Dans une des plus remarquables pièces des Harmonies (Novissima Verba), ce mélodieux poëte célèbre l’amour et déclare qu’il n’y a rien dans le monde que lui :

Femmes, anges mortels, création divine,
Seul rayon dont la vie un moment s’illumine !
Je le dis à cette heure, heure de vérité.
Comme je l’aurais dit quand devant la beauté
Mon cœur épanoui, qui se sentait éclore.
Fondait comme une neige aux rayons de l’aurore.
Je ne regrette rien de, ce monde que vous !


et il ajoute, parlant toujours des femmes et de l’amour :

Quand vous vous desséchez sur le cœur qui vous aime.
Ou que ce cœur flétri se dessèche lui-même ;
Quand le foyer divin qui brûle encore en nous
Ne peut plus rallumer la flamme éteinte en vous.
Que nul sein ne bat plus quand le nôtre soupire.
aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
Alors, comme un esprit exilé de sa sphère
Se résigne en pleurant aux ombres de la terre,
Détachant de vos pas nos yeux voilés de pleurs,
Aux faux biens d’ici-bas nous dévouons nos cœurs.


Ce faux biens d’ici-bas, selon le poëte, c’est la réalité.