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CHATEAUBRIAND.

sérieux des objets ! il passera une vie frivole à s’occuper de chicanes grammaticales, de règles de goût, de petites sentences littéraires ! il vieillira enchaîné dans les langes de son berceau ! il ne montrera point sur la fin de ses jours un front sillonné par les longs travaux, les graves pensées, et souvent par ces mâles douleurs qui ajoutent à la grandeur de l’homme ! Quels soins importants auront donc blanchi ses cheveux ? les misérables peines de l’amour-propre et les jeux puérils de l’esprit. »


Plus tard il reproduira admirablement cette même pensée dans le dernier chapitre de sa Monarchie selon la Charte : il se demande ce que devenaient en France autrefois les hommes qui avaient passé la jeunesse et qui avaient atteint la saison des fruits, et, les montrant privés des nobles emplois de la vie publique, oisifs par état, vieillissant dans les garnisons, dans les antichambres, dans les salons, dans le coin d’un vieux château, n’ayant pour toute occupation que l’historiette de la ville, la séance académique, le succès de la pièce nouvelle, et, pour les grands jours, la chute d’un ministre :


« Tout cela, s’écriait-il, était bien peu digne d’un homme ! N’était-il pas assez dur de ne servir à rien dans l’âge où l’on est propre à tout ? Aujourd’hui les mâles occupations qui remplissaient l’existence d’un Romain, et qui rendent la carrière d’un Anglais si belle, s’offriront à nous de toutes parts. Nous ne perdrons plus le milieu et la fin de notre vie ; nous serons des hommes quand nous aurons cessé d’être jeunes gens. Nous nous consolerons de n’avoir plus les illusions du premier âge, en cherchant à devenir des citoyens illustres : on n’a rien à craindre du temps, quand on peut être rajeuni par la gloire. »


Une idée se dessine déjà : M. de Chateaubriand, le poëte qu’il est, regrette la jeunesse, et il la veut remplacer du moins par quelque chose de grand, de sérieux d’occupé, et qui en vaille la peine ; il veut de l’éclat et de la gloire pour se rajeunir. Dans ses Mémoires, le chapitre par lequel il entame sa vie politique et qu’il intitule