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CAUSERIES DU LUNDI.

« La plupart des médecins voudraient qu’on défendît d’écrire en langue vulgaire sur la médecine.

« Presque tous ceux qui ont joué un rôle dans les affaires publiques n’aiment point à voir écrire sur la politique, le commerce, la législation.

« Les gens de Lettres pensent de même sur la critique littéraire ; ils n’osent pas proposer de la proscrire entièrement, mais leur délicatesse sur cet article est si grande, que, si l’on y avait tout l’égard qu’ils désirent, on réduirait la critique à rien. »


Dans les Mémoires de lui qui ont été publiés sur la Librairie et la Liberté de la Presse, M. de Malesherbes revient souvent, et avec une raison piquante, sur cette diversité et cette contradiction des mille amours-propres entre eux. On eût fait de ces observations une Satire ingénieuse dans le goût d’Horace ; il se bornait à en tirer quelques principes d’équité et de bonne administration.

Nous sommes aujourd’hui dans un moment peu favorable pour bien sentir les avantages de la liberté de la presse. Ces avantages sont répandus et comme disséminés dans un ensemble d’effets généraux insensibles qui tiennent au contrôle de la publicité et à tout ce qu’elle prévient d’abus : au contraire, les inconvénients de cette liberté sont directs et très-sensibles ; ils touchent et frappent chacun. La société a eu peur, et, depuis qu’elle se rasseoit, elle n’est pas devenue très-raisonnable sur cet article de la presse. Les écrivains eux-mêmes sont devenus de plus en plus exigeants. Pour retrouver de part et d’autre quelque justesse d’appréciation et de la lucidité de coup d’œil, il ne sera pas mauvais de se reporter au temps de M. de Malesherbes et de le suivre dans quelques-unes des mille affaires contentieuses qu’il eut à démêler. On appréciera la différence des régimes à cent ans de distance. La société verra qu’elle n’a raisonnablement rien à regretter ni à vouloir reprendre de ce bon vieux temps, et les écri-