Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/528

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
518
CAUSERIES DU LUNDI.

ans. Les pièces les plus importantes, les principaux dossiers manuscrits relatifs à cette partie de sa vie et de sa conduite, sont sous mes yeux, et j’en pourrai traiter, non pas avec plus de justesse et d’équité (car la plupart des biographes en ont très-bien parlé en général), mais avec plus de précision qu’on ne l’avait fait jusqu’ici.

En 1750, M. le Chancelier de Lamoignon avait donc chargé son fils de diriger la librairie, qui était alors dans les attributions du Chancelier. M. de Malesherbes était un homme éclairé, je l’ai dit, et selon les lumières modernes ; il aurait voulu la liberté de la presse, et croyait peu à l’efficacité de la Censure, quand une fois l’opinion a pris son essor dans un certain sens. Et malgré tout, le voilà placé à la tête de cette Censure, et investi de la plus délicate des fonctions, en présence d’une littérature philosophique très-émancipée, dont il partage plus d’une doctrine, en face d’une opposition religieuse et réactionnaire très-irritée, qui a des appuis à la Cour auprès de la reine et du Dauphin, en regard enfin du Parlement, qui a ses préjugés, ses prétentions, et qui voudrait, dans bien des cas, évoquer à lui le jugement des livres et des auteurs. L’office du Directeur de la librairie consistait, quand un livre lui était soumis (et tous devaient l’être) à indiquer un censeur ; sur l’approbation de ce censeur, approbation quelquefois publique et d’autres fois tacite, on permettait d’imprimer l’ouvrage, non sans avoir exigé le plus souvent des corrections. Ce n’était cependant pas une raison pour qu’à la rigueur, même après la publication du livre, et nonobstant cette censure préalable, suivie d’approbation, il ne pût y avoir poursuite, soit par Arrêt du Conseil du roi, soit par le fait du Parlement. Enfin il était toujours temps pour qu’une Lettre de cachet intervînt, qui envoyait l’auteur à la Bastille.