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MADAME DE POMPADOUR.

celui de Drouais que Grimm préférait à tous ; mais le plus admirable est certainement le pastel de La Tour, que possède le Musée. C’est là qu’il faut aller voir la marquise avant de se permettre de la juger et de se former la moindre idée de sa personne.

Elle est représentée assise dans un fauteuil, tenant en main un cahier de musique, le bras gauche appuyé sur une table de marbre où sont posés une sphère et divers volumes. Le plus gros de ces volumes, qui touche à la sphère, est le tome iv de l’Encyclopédie ; à côté se trouvent rangés un volume de l’Esprit des Lois, la Henriade et le Pastor Fido, témoignage des goûts à la fois sérieux et tendres de la reine de ces lieux. Sur la table encore, au pied de la sphère, se voit un volume bleu renversé qui porte inscrit au dos : Pierres gravées ; c’est son œuvre. Une estampe se détache et pend, qui représente un graveur en pierres fines au travail avec ces mots : Pompudour sculpsit. À terre, au pied de la table, est un carton de gravures et de dessins, marqué à ses armes ; on a là tout un trophée. Au fond, entre les pieds de la console, s’entrevoit un vase en porcelaine du Japon : pourquoi pas de Sèvres ? Derrière son fauteuil, et du côté opposé à la table, est un autre fauteuil ou une ottomane avec une guitare. Mais c’est la personne même qui est de tout point merveilleuse de finesse, de dignité suave et d’exquise beauté. Tenant en main le cahier de musique avec légèreté et négligence, elle en est tout à coup distraite ; elle semble avoir entendu du bruit et retourne la tête. Est-ce bien le roi qui vient et qui va entrer ? Elle a l’air d’attendre avec certitude et d’écouter avec sourire. Sa tête ainsi tournée laisse voir le profil du cou dans toute sa grâce, et ses petits cheveux très-courts, délicieusement ondés, dont les boucles s’étagent et dont le blond se devine encore sous la demi-poudre