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MADAME DE POMPADOUR.

L’exemple en est donné par le plus grand des rois,
Et par la beauté la plus sage.


Ainsi la jeune Pompadour fit son entrée à Versailles à titre de beauté sage, dont le cœur s’était senti pris uniquement pour un héros fidèle.

Tout ceci semble étrange et presque ridicule ; mais, pour peu qu’on étudie la marquise, on reconnaît qu’il y a du vrai dans cette manière de voir, et que le goût même du xviiie siècle s’y retrouve au naturel. Mme  de Pompadour n’était pas une grisette précisément, comme affectaient de le dire ses ennemis, et comme Voltaire l’a répété en un jour de malice : elle était une bourgeoise, la fleur de la finance, la plus jolie femme de Paris, spirituelle, élégante, ornée de mille dons et de mille talents, mais avec une manière de sentir qui n’avait pas la grandeur et la sécheresse d’une ambition aristocratique. Elle aimait le roi pour lui-même, comme le plus bel homme de son royaume, comme celui qui lui était apparu le plus aimable ; elle l’aimait sincèrement, sentimentalement, sinon avec une passion profonde. Son idéal eût été, en arrivant à la Cour, de le charmer, de l’amuser par mille divertissements empruntés aux arts ou même aux choses de l’esprit, de le rendre heureux et constant dans un cercle d’enchantements variés et de plaisirs. Un paysage de Watteau, des jeux, des comédies, des pastorales sous l’ombrage, un continuel embarquement pour Cythère, c’eût été là son cadre préféré. Mais, une fois transportée sur ce terrain glissant de la Cour, elle ne put réaliser son idéal que bien imparfaitement. Elle, naturellement obligeante et bonne, elle dut s’armer contre les inimitiés et les perfidies, prendre l’offensive pour ne pas être renversée ; elle fut amenée par nécessité à la politique et à se faire ministre d’État.

Pourtant, dès l’abord (et c’est en cela que je la trouve