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CAUSERIES DU LUNDI.

femmes de trente ans qui dansèrent. On fit à ce sujet une jolie chanson :

Il est plus d’un mois pour les fleurs,
Et toutes les roses sont sœurs.


Voici le plus joli couplet de cette agréable chansonnette :

Belles qui formez des projets,
Trente ans est pour vous le bel âge ;
Vous n’en avez pas moins d’attraits,
Vous en connaissez mieux l’usage :
C’est le vrai moment d’être heureux ;
On plaît autant, on aime mieux.
On Enfants de quinze ans,
OLaissez danser vos mamans !


C’était le refrain. On voit comment le xviiie siècle prenait encore légèrement cette réhabilitation en forme, qui ne dura qu’une soirée. Mais le xixe siècle devait renchérir, et la théorie de la femme de trente ans, avec tous ses avantages, ses supériorités et ses perfections définitives, ne date que d’aujourd’hui. M. de Balzac en est l’inventeur, et c’est là une de ses découvertes les plus réelles dans l’ordre du roman intime. La clef de son immense succès était tout entière dans ce premier petit chef-d’œuvre[1]. Les femmes lui passèrent ensuite bien des choses et le crurent, en toute rencontre, sur parole, pour avoir, une première fois, si bien deviné.

Si rapide et si grand qu’ait été le succès de M. de Balzac en France, il fut peut-être plus grand encore et plus incontesté en Europe. Les détails qu’on pourrait donner à cet égard sembleraient fabuleux, et ne seraient que

  1. Ne le lisez, je vous prie, que dans les premières éditions ; l’auteur me l’a gâté en le voulant amplifier depuis.