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L’ABBÉ GALIANI

physique : elle engendre des résultats qui peuvent être beaux et bons, relativement à la société et à l’homme. C’est parce que notre œil est configuré de manière à voir le ciel rond et voûté, que l’homme a ensuite inventé la coupole, le dôme du temple, soutenu de colonnes, qui est une chose belle à voir. Ainsi, au moral, nos illusions intérieures sur la liberté, sur la cause première, ont engendré la religion, la morale, le droit, toutes choses utiles, naturelles à l’homme, et même vraies si l’on veut, mais d’une vérité purement relative et toute subordonnée à la configuration, à l’illusion première.

En religion, en morale, on sent où une telle manière de voir le mène. Du moins, s’il se pique de se dégager lui-même des vues illusoires et des impressions relatives, il ne s’acharne pas à les détruire chez les autres, en quoi il diffère essentiellement de ses amis, les philosophes français du xviiie siècle. Il serait assez de l’avis de celui qui dirait : « Je me fais l’effet d’être dans la vie comme dans un appartement entre cave et grenier. En pareil cas on a un plancher qui recouvre la poutre, et de plus, si l’on a moyen, on met un tapis sous ses pieds. On tâche aussi d’orner son plafond pour cacher les lattes. Si l’on pouvait avoir sur ce plafond une belle fresque, un ciel peint à la Raphaël, ce serait tant mieux. Ainsi des illusions de la vie et des perspectives où elle se joue : il faut les respecter et par moments s’y complaire, même quand on sait trop bien ce qu’il y a par delà. »

Voilà, dans toute sa vérité, la théologie de l’abbé Gaiiani, et, même au point de vue de l’illusion à laquelle il tenait tant, je ne la donne ni comme très-belle ni comme consolante ; le total, il en convient, en est égal à zéro. Mais, dans son scepticisme, elle n’a rien de l’arrogance et de l’intrépidité de doctrine qui choque chez ses amis. Quand Mme Geoffrin tomba malade, en 1776,