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L’ABBÉ GALIANI

sa taille, il déconcerta à l’instant la curiosité railleuse et la changea en faveur par la vivacité et le piquant de ses reparties. Il fit les délices des sociétés qui se l’arrachaient ; ses amis particuliers, surtout Grimm et Diderot, appréciaient hautement la nouveauté et l’étendue de ses vues, de ses lumières : « Ce petit être, né au pied du mont Vésuve, écrivait Grimm, est un vrai phénomène. Il joint à un coup d’œil lumineux et profond une vaste et solide érudition, aux vues d’un homme de génie l’enjouement et les agréments d’un homme qui ne cherche qu’à amuser et à plaire. C’est Platon avec la verve et les gestes d’Arlequin. » Marmontel disait de lui également : « L’abbé Galiani était de sa personne le plus joli petit Arlequin qu’eut produit l’Italie ; mais, sur les épaules de cet Arlequin, était la tête de Machiavel. » Ce nom d’Arlequin qui revient ici est caractéristique de Galiani. Si Français qu’il fût et qu’il voulût être, il ne cessa jamais d’être Italien, d’être Napolitain, ce qu’il ne faut jamais oublier en le jugeant ; il avait le génie propre du cru, le facétieux, le plaisant, le goût de la parodie. Dans un article de lui sur Polichinelle[1], il le fait naître dans la Campanie, non loin du lieu où naquirent dans l’antiquité les forces atellanes. Il semble croire que l’esprit de ces farces antiques a pu se perpétuer dans l’original moderne, et lui-même, le petit abbé, il en avait hérité quelque chose, même la bouffonnerie et la licence. Il avait des pensées grandes, élevées, sublimes, dignes de Vico sinon de Platon, dignes de la Grande-Grèce, et tout à coup ces pensées étaient déjouées par des lazzis, des calembours, par du bouffon, et du plus mauvais : « Mais voilà comme je suis, disait-il agréablement, deux

  1. On peut lire cet article à la page 283 de la Bibliographie paréniologique de M. Duplessis (1847).