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CAUSERIES DU LUNDI.

aussi par où les docteurs, ses juges, la voulurent prendre en flagrant délit d’irrévérence et d’indévotion : « Était-ce fête ce jour-là ? » lui demandèrent-ils. Elle répondit qu’elle croyait bien que c’était fête en effet. Et quand ils insistaient, en ajoutant : « Était-ce donc bien fait à vous de livrer l’assaut ce jour-là ? » elle se contentait d’éluder, de se taire, et baissant les yeux : « Passez, disait-elle, à autre chose. »

La noble fille, enlacée à son tour par le serpent, n’osait répondre comme Hector, mais elle pensait comme lui. Comme lui, elle avait l’ordre direct et le conseil du Dieu suprême. Que lui importaient les autres augures ?

L’inspiration directe, ce fut là la ferme créance et la force de Jeanne d’Arc, comme aussi son grand crime aux yeux de ses juges. Elle croyait fermement à la réalité et à la divinité de ses voix ; comme tous les voyants, elle croyait tenir l’esprit à sa source et jaillissant du sein de Dieu même. L’Église hiérarchique et officielle, l’Église, telle qu’elle était organisée alors, lui semblait respectable sans doute, mais ne lui semblait venir qu’après ses voix. Elle se fût sentie de force à commander aux gens d’Église et aux prêtres, à les redresser et à les remettre dans leur chemin, tout comme elle y remettait les princes, chevaliers et capitaines. Aussi, dans le procès de réhabilitation qui se fit depuis, ne trouva-t-on pas Rome aussi empressée, aussi bien disposée qu’on aurait pu croire. Le roi dut forcer la main au pape, et Jeanne, qui avait tant de vertus et de qualités requises pour être canonisée sainte comme on l’entendait en ces âges, ne fut jamais que la Sainte du peuple et de la France, la Sainte de la patrie.

Des historiens, dans ces dernières années, l’ont enfin comprise, l’ont présentée sous son vrai jour, et il est impossible de ne pas rappeler ici ce qui est dit d’elle au