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JEANNE D’ARC.

mieux dans l’avenir. » À quoi elle répondit railleusement : « Gentil Robert, nenni, nenni, il n’est pas temps ; le Saint-Esprit y ouvrera (pourvoira). » Je douterais de la conversation, n’était cette dernière réplique, qui est trop spirituelle pour que Baudricourt, qui la racontait, l’eût trouvée tout seul, et qui n’a pas l’air d’avoir été inventée.

Quand cette enfant de seize ans sortit de son village, déterminée à faire sa conquête de France, elle était d’une vigueur et d’une audace tant de parole que d’action, qu’elle-même avait déjà un peu perdue et oubliée dans les longs mois de sa prison de Rouen. La gaieté avec la confiance éclatait dans chacune de ses paroles. Elle avait à la main, selon l’usage du temps, quand elle ne tenait pas l’étendard ou l’épée, un bâton, et ce bâton lui servait à plusieurs fins, et aussi à jurer : « Par mon martin, disait-elle des bourgeois d’Orléans, je leur ferai mener des vivres. » Ce martin, qui revient sans cesse dans sa bouche chez son historien le mieux informé, c’était son martin-bâton, son jurement habituel. Quand elle entendait le brave chevalier La Hire jurer le nom du Seigneur, elle le reprenait en lui disant de faire comme elle et de jurer par son bâton.

Au siège d’Orléans, étant dans la ville, et informée par Dunois qu’un corps anglais commandé par Falstoff s’approchait pour secourir les assiégeants, elle en fut toute réjouie, et, craignant qu’on ne l’en avertit point à temps pour l’empêcher d’aller à la rencontre, elle dit à Dunois : « Bâtard, bâtard, au nom de Dieu (elle put bien dire : Par mon martin, mais le témoin qui dépose du fait aura jugé le mot trop peu noble), je te commande que, tantôt que tu sauras la venue dudit Falstolf, tu me le fasses savoir ; car s’il passe sans que je le sache, je te ferai couper la tête. » Que ce ne fût là qu’une manière