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JEANNE D’ARC.

quer tout entière, de se rendre parfaitement compte et de sa sincérité et des mobiles qui la faisaient agir, du genre de foi qu’elle y attachait ; et la pensée va encore au delà, elle vu jusqu’à s’enquérir de ce qu’il pouvait y avoir de réel dans le fond de son inspiration même. En un mot, on se pose, bon gré, mal gré, cette question : Jeanne d’Arc peut-elle s’expliquer comme un personnage naturel, héroïque, sublime, qui se croit inspiré sans l’être autrement que par des sentiments humains ? ou faut-il absolument renoncer à se l’expliquer, à moins d’admettre, comme elle le faisait elle-même, une intervention surnaturelle ?

La publication de M. Quicherat met sur la voie et fournit à peu près tous les éléments désirables pour traiter désormais cette question délicate. Par malheur, une pièce essentielle, celle même qui, si elle existait, serait le document capital pour bien juger du point de départ de Jeanne d’Arc et de ses dispositions primitives, cette pièce manque et ne s’est jamais retrouvée. Lorsque Jeanne arriva d’abord auprès de Charles VII, ce prince la fit interroger et examiner à Poitiers pour être bien assuré de sa véracité et de sa candeur. C’est cette première et naïve déposition de Jeanne dès le premier jour de son arrivée à la Cour, qui serait d’un inestimable prix ; car, bien qu’elle ait eu à répondre plus tard sur les mêmes questions devant les juges qui la condamnèrent, elle n’y répondit plus avec la même naïveté ni avec la même effusion qu’elle dut mettre dans cette déposition première. Quoi qu’il en soit de cette perte irréparable, on a de sa bouche une série de réponses qui constatent son état réel dès l’enfance. Sans pouvoir me permettre ici d’aborder une question qui est tout entière du ressort de la physiologie et de la science, je dirai seulement que le seul fait d’avoir entendu des voix et de les entendre ha-