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CAUSERIES DU LUNDI.

elle commande. Elle est, à la fin d’avril, sous les murs d’Orléans ; elle y entre, et, après une série d’actions qui sont au moins très-remarquables eu égard à la stratégie d’alors, elle en fait lever le siège. Il paraît qu’elle était douée de ce quelque chose de prompt qui est le coup d’œil militaire. Tous les mois suivants sont remplis de ses succès et de ses exploits, à Jargeau, à Beaugency, à la bataille de Patay où Talbot est fait prisonnier, à Troyes qu’elle fait rendre au roi ; à Reims où elle le fait couronner : ce sont pour elle quatre mois pleins de gloire. Blessée devant Paris le 8 septembre, elle voit pour la première fois la fortune lui manquer, et le conseil de ses voix en défaut, ou du moins ce conseil paralysé et mis à néant par l’hésitation obstinée et le mauvais vouloir des hommes. À partir de ce moment, elle n’a plus que des éclairs de succès ; son astre baisse, mais non pas son dévouement ni son courage. Après une série de contrariétés et de tentatives diverses, elle est prise dans une sortie qu’elle fait devant Compiègne le 23 mai 1430, un peu moins de treize mois après son apparition glorieuse devant Orléans. Jetée en prison, livrée par les Bourguignons aux Anglais, par ceux-ci à la justice ecclésiastique et à l’Inquisition, son procès s’entame à Rouen en janvier 1431, et se termine par l’atroce scène du bûcher, où elle fut brûlée vive, comme relapse, convaincue de schisme, hérésie, idolâtrie, invocation des démons, le 30 mai de la même année. Jeanne n’avait pas vingt ans. Mais ne sentez-vous pas d’abord combien ce passage de Jeanne fut rapide, et que sa vie ne fut qu’un éclair, comme il arrive presque toujours de ces merveilleuses et lumineuses destinées ?

Après le premier sentiment d’intérêt et d’admiration pour cette jeune, simple et généreuse victime, on sent le besoin, afin même de mieux l’admirer, de se l’expli-