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CAUSERIES DU LUNDI.

l’on ne prend que les beautés et la fleur d’un sujet, autre chose une reproduction exacte et complète des textes latins dans toute leur teneur, et des instruments mêmes (comme cela s’appelle) d’une volumineuse procédure. On peut dire que la mémoire de Jeanne d’Arc était encore à demi enfouie dans la poudre du greffe, et qu’elle en est seulement arrachée d’aujourd’hui. L’éditeur a pris soin de rassembler, à la suite, les témoignages des historiens et chroniqueurs du temps sur la Pucelle, et toutes les pièces accessoires que les curieux peuvent désirer. On a maintenant le dernier mot, autant qu’on l’aura jamais, sur cette apparition merveilleuse. Enfin, pour mettre le cachet à sa publication et à son rôle d’excellent éditeur, M. Quicherat vient d’ajouter un volume à part, une sorte d’introduction, dans laquelle il donne avec beaucoup de modestie, mais aussi avec beaucoup de précision, son avis sur les points nouveaux que ce développement complet des actes du procès fait ressortir et détermine plus nettement. Nous tâcherons ici, en le suivant, d’imiter sa circonspection, et, dans un sujet entraînant où l’on est à tout moment sur la pente de l’enthousiasme et de la légende, de ne nous laisser guider que par l’amour de la vérité.

La destinée de Jeanne d’Arc, même après sa mort, a de quoi sembler des plus singulières, et sa renommée a subi toutes les transformations et toutes les vicissitudes. Sans sortir du cercle de l’horizon littéraire, que de retours soudains, que de mésaventures ! La Pucelle de Chapelain avait rendu l’héroïne presque ridicule ; ce poëme, selon la remarque de M. Quicherat, fut presque aussi funeste à la mémoire de Jeanne d’Arc qu’un second procès de condamnation. À force d’ennui, il appelait des représailles. Voltaire eut le malheur de s’en charger, et tout son siècle celui d’y applaudir. L’idée s’était géné-