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M. DE BROGLIE.

le plus favorable certes et le plus clément qui se soit produit dans le Comité secret de cette nuit mémorable. Sur la question posée en ces termes : « Le maréchal a-t-il commis un attentat à la sûreté de l’État ? » 157 voix sur 161 turent pour l’affirmative ; trois membres protestèrent et s’abstinrent ; une seule voix fut pour la négative et pour déclarer qu’il n’y avait pas eu attentat : c’était celle du duc de Broglie. Une fois la culpabilité admise, il vota pour la peine la plus douce, qui était la déportation.

Indépendamment de l’intérêt tout particulier qui s’attachait au nom glorieux de Ney et de la question d’humanité même, il y avait dans ce vote autre chose encore, il y avait une théorie. M. de Broglie avait dès lors sur la nature des crimes politiques, et sur l’application de la peine de mort en général, des idées qu’il a eu occasion d’indiquer depuis dans plus d’un écrit sous la Restauration, et qui tenaient de celles de quelques théoriciens philanthropes du commencement du siècle.

Le mariage du duc de Broglie avec la fille de Mme  de Staël, en 1816, marque une seconde époque de sa vie intellectuelle. Dans ses premières idées de libéralisme, il avait peut-être été plus absolu, plus radical que nous ne l’avons vu depuis ; ou du moins il était libéral en vertu d’idées plus simples, plus directement déduites, plus voisines de celles de Bentham, et en se distinguant peu de l’école positive de MM. Comte et Dunoyer. Le monde nouveau, la famille dans laquelle il entrait, le trouva singulièrement disposé à élever son libéralisme d’un cran si je puis dire, à lui trouver des raisons plus fines, plus neuves, plus distinguées, plus d’accord avec l’idée morale qu’on s’y faisait de la nature humaine. Nous touchons là à l’un des traits principaux qui caractérisent l’esprit de M. de Broglie, et en général l’esprit doctri-