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CAUSERIES DU LUNDI.

ter un de Broglie dans ses armées, à pouvoir citer ce nom historique dans ses bulletins, et il se peut qu’il le lui ait fait entendre ; mais M. de Broglie fut de bonne heure de ceux qui ont l’oreille sourde à la séduction, de ceux qui suivent leur idée et ne se laissent pas dévoyer de leur vocation intérieure. On peut dire que dès lors il pensait tout droit devant lui. Il entra vers 1809 comme auditeur au Conseil d’État, et bientôt, comme la plupart des jeunes auditeurs, il devint intendant et administrateur en pays conquis, en Hongrie, en Croatie, dans les Provinces Illyriennes. Il passa quelque temps en Espagne, à Valladolid, en qualité de secrétaire-général de l’administration française. En 1812, il fut attaché à l’ambassade de Varsovie, puis à celle de Vienne ; il accompagna comme secrétaire d’ambassade M. de Narbonne au Congrès de Prague. Dans les diverses occasions qu’il eut d’approcher du maître d’alors et de l’entendre, soit au Conseil d’État, soit ailleurs, il fut frappé des défauts plus que des qualités ; il vit et nota surtout, de cette grandeur déclinante, les éclats, les écarts, les brusqueries, sans apercevoir assez les éclairs de génie et de haut bon sens qui jaillissaient et se faisaient jour : c’était là de sa part une prévention que lui-même reconnaît aujourd’hui. Il est, pour tout esprit qui se forme, un régime et un climat qui lui conviennent : évidemment l’Empire n’était pas le climat le plus favorable et le plus propice à la tournure d’esprit morale et un peu idéologique du jeune Victor de Broglie.

La Restauration le créa pair dès le début, en 1814 ; il n’avait pas encore trente ans. Il venait seulement d’atteindre depuis quatre ou cinq jours cet âge requis pour le vote, lorsque la Chambre des pairs eut à prononcer son jugement sur le maréchal Ney (5 décembre 1815). Il usa de son droit immédiatement pour donner le vote