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CAUSERIES DU LUNDI.

phiné, la jeunesse sérieuse de Barnave trouvait des sujets d’inspiration et d’exercice ; sa vie politique commença avant l’âge. Le Dauphiné, a-t-il remarqué, se distingua de bonne heure, dans la résistance des autres provinces, par une marche hardie et méthodique : c’est là aussi le double caractère qu’offre toute la carrière de Barnave. En se livrant à l’étude du Droit, il se sentit d’abord poussé bien moins vers les lois civiles que vers les lois politiques ; il lut avec avidité, il s’empressa d’extraire et d’approfondir tous les ouvrages français composés sur ces matières de gouvernement et d’institutions. Dès l’année 1783, à l’âge de vingt-deux ans, il prononça, à la clôture des audiences du Parlement, un Discours sur la nécessité de la division des pouvoirs dans le Corps politique. Quand survinrent les troubles du Dauphiné, l’insurrection régulière contre les Édits et la convocation spontanée des États de cette province, qui accomplit par avance sa révolution, il se trouva tout prêt ; il fut l’un des plus prompts à donner le signal par un écrit courageux et opportun. Il fit ses premières armes sous le digne Mounier, et mérita d’être porté à ses côtés, et par les mêmes suffrages, aux États-Généraux.

Il raconte en termes simples et véridiques ses impressions premières et sa situation d’esprit à son arrivée à Versailles : « Ma position personnelle dans ces premiers moments, dit-il, ne ressemblait à celle d’aucun autre : trop jeune pour concevoir l’idée de diriger une Assemblée aussi imposante, cette situation faisait aussi la sécurité de tous ceux qui prétendaient à devenir chefs ; nul ne voyait en moi un rival, et chacun pouvait y apercevoir un élève ou un sectateur utile. » Il commençait déjà à exercer de l’ascendant par la netteté de ses opinions et par la vigueur de sa parole. Les chefs l’accueillaient avec bienveilhnce ; et lui, avec cette illusion