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LE SAGE.

qu’il trouvait trop recherchés et visant à renchérir sur la langue de Racine, de Corneille, et des illustres devanciers.

Boileau, on l’a vu, avait peu souri aux débuts de Le Sage. À son tour, Le Sage semble avoir été peu favorable à ce qu’on appelle la grande et haute littérature de son temps, qu’il trouvait guindée. Cette sorte de dissidence, poussée jusqu’à l’aversion, se marque dans tous les actes de sa vie littéraire. Il rompt de bonne heure avec la Comédie-Française, se met en guerre avec elle, avec les Comédiens du roi qui représentent le grand genre, la déclamation tragique. Il s’adonne aux petits théâtres, aux théâtres forains, et fait seul ou en société une centaine au moins de petites pièces qui représentent assez bien en germe, ou déjà même au complet, ce que sont aujourd’hui les vaudevilles, les opéras-comiques, nos pièces des Variétés et des Boulevards. Il y avait un Désaugiers dans Le Sage.

Il ne veut pas être de l’Académie française ; il résiste à Danchet son ami, qui veut l’y attirer, et il se refuse absolument aux sollicitations qui étaient de rigueur alors pour réunir les suffrages.

Il a en aversion les bureaux d’esprit, tels que l’était en son temps le salon de la marquise de Lambert, et, sans parler de sa surdité qui le gêne, il a ses raisons pour cela : « On n’y regarde la meilleure comédie ou le roman le plus ingénieux et le plus égayé, remarque-t-il (non sans un petit retour sur lui-même), que comme une faible production qui ne mérite aucune louange ; au lieu que le moindre ouvrage sérieux, une ode, une églogue, un sonnet, y passe pour le plus grand effort de l’esprit humain. » Il est décidément contre les faiseurs d’odes, de tragédies, contre tous les genres officiels et solennels, ces genres titrés que le public respecte et ho-