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Lundi 22 juillet 1850.

MADAME  GEOFFRIN.

Après tout ce que j’ai dit des femmes du xviiie siècle, il y aurait une trop grande lacune si je ne parlais de Mme Geoffrin, l’une des plus célèbres et dont l’influence a été le plus grande. Mme Geoffrin n’a rien écrit que quatre ou cinq lettres qu’on a publiées ; on cite d’elle quantité de mots justes et piquants ; mais ce ne serait pas assez pour la faire vivre : ce qui la caractérise en propre et lui mérite le souvenir de la postérité, c’est d’avoir eu le salon le plus complet, le mieux organisé et, si je puis dire, le mieux administré de son temps, le salon le mieux établi qu’il y ait eu en France depuis la fondation des salons, c’est-à-dire depuis l’hôtel Rambouillet. Le salon de Mme Geoffrin a été l’une des institutions du xviiie siècle.

Il y a des personnes peut-être qui s’imaginent qu’il suffit d’être riche, d’avoir un bon cuisinier, une maison confortable et située dans un bon quartier, une grande envie de voir du monde, et de l’affabilité à le recevoir, pour se former un salon : on ne parvient de la sorte qu’à ramassée du monde pêle-mêle, à remplir son salon, non à le créer ; et si l’on est très-riche, très-actif, très-animé de ce genre d’ambition qui veut briller, et à la fois bien renseigné sur la liste des invitations à faire, déterminé à tout prix à amener à soi les rois ou reines