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BÉRANGER.

Ce couplet reste à l’état de pur logogriphe. — Je reprends la série des premières chansons.

La Gaudriole, qu’il a si bien chantée, anime la plupart des pièces d’alors. Cette gaudriole qui, au fond et malgré les pensées sérieuses, lui est si naturelle, joue et circule dans toute sa première manière ; elle traverse la seconde ; elle se retrouve jusque dans sa dernière. Au milieu de ce Recueil plus grave de 1833, il y a une chanson. Ma Nourrice, qui fait penser à celle de Ma Grand’Mère ; qui a fait l’une devait faire l’autre. Au point de vue de la morale populaire, je me contenterai de faire remarquer qu’il n’est pas très-bien peut-être de compromettre à ce degré, dans un type grivois, ces deux personnes si respectables, sa nourrice et sa grand’mère.

Mais Béranger, ne l’oublions pas, est de la race gauloise, et la race gauloise, même à ses instants les plus poétiques, manque de réserve et de chasteté : voyez Voltaire, Molière, La Fontaine, et Rabelais et Villon, les aïeux. Ils ont tous le coin par où l’on nargue le sublime, et d’où l’on fait niche au sacré tant qu’on le peut. En ce qui est du poète qui nous occupe, je me bornerai à une simple remarque générale et que je crois conforme à l’expérience.

Quand on a une fois, en âge déjà mûr, chanté et célébré à ce point la gaudriole et la goguette, et qu’on s’y est délecté avec un art si exquis et une si délicieuse malice, on a ensuite beau faire et beau dire, on peut la recouvrir sous les plus graves semblants et la combiner avec des sentiments très-élevés, très-sincères ; mais elle est et restera toujours au fond de l’âme une chose considérable, le lutin caché qui rit sous cape, qui joue et déjoue.

Frétillon nous rend la perfection de la verve pure-