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CAUSERIES DU LUNDI.

où l’inspiration sensible donne le ton ; le Vieux Sergent, le Vieux Drapeau, la Sainte-Alliance des Peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4° Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis le Ventru jusqu’aux Clefs du Paradis. 5° Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme les Contrebandiers, le Vieux Vagabond.

Voilà bien des genres, et il semble que tout soit épuisé : on assure pourtant que Béranger garde encore en portefeuille une dernière forme de chanson plus élevée, presque épique : ce sont des pièces en octave sur Napoléon, sur les diverses époques de l’Empire. Ceux de ses amis qui les connaissent n’en parlent qu’avec admiration. J’entendais un jour, il y a quatre ou cinq ans, M. de La Mennais qui en disait : « Cela me paraît plus beau que tout ce qu’il a fait jusqu’ici, mais il ne veut rien en publier. Moi (ajoutait-il en souriant et en faisant allusion à sa propre impatience de publicité), si j’avais fait une seule de ces octaves-là, je l’aurais déjà mise partout ; mais lui, il ne veut pas être remis en question c’est plus prudent peut-être et plus sage. »

En nous tenant à ce que nous avons, il est certain que Béranger a fait de la chanson tout ce qu’on en peut faire ; il en a tiré tout ce qu’elle renferme, et on pour-