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CAUSERIES DU LUNDI.

le mieux le commencement de toutes affaires ; » M. le duc d’Orléans qui fait l’empressé et le passionné en parlant à la reine, « et je ne l’ai jamais vu siffler avec plus d’indolence qu’il siffla une demi-heure en entretenant Guerchi dans la petite chambre grise ; » le maréchal de Villeroi qui fait le gai pour faire sa cour au ministre, « et il m’avouait en particulier, les larmes aux yeux, que l’État était sur le bord du précipice. » La scène décrite par Retz dure ainsi avec toutes sortes de variations, jusqu’à ce que le chancelier Séguier entre dans le cabinet : « Il était si faible de son naturel, qu’il n’avait jamais dit jusqu’à cette occasion aucune parole de vérité ; mais, en celle-ci, la complaisance céda à la peur. Il parla, et il parla selon ce que lui dictait ce qu’il avait vu dans les rues. J’observai que le cardinal parut fort touché de la liberté d’un homme en qui il n’en avait jamais vu. » Mais quand, après le chancelier, on voit entrer le lieutenant civil, plus pâle à son tour qu’un acteur de la Comédie Italienne, oh ! alors tout se décide, et la peur, à laquelle on avait tant résisté, se fait jour dans toutes les âmes. Il faut lire chez Retz la comédie entière. Cette scène est vraie, elle doit l’être, car elle ressemble à la nature humaine, à la nature des rois, des ministres et courtisans en ces extrémités. C’est la scène de Versailles pendant qu’on prend la Bastille, ou à la veille du 5 octobre ; c’est la scène, tant de fois répétée, de Saint-Cloud ou des Tuileries, le matin des émeutes qui balaient les dynasties.

Voilà les côtés que Retz a merveilleusement saisis et connus, le caractère des hommes, le masque et le jeu des personnages, la situation générale et l’esprit mouvant des choses ; par toutes ces parties, il est supérieur et, hors d’atteinte dans l’ordre de la pensée et de la peinture morale, autant que Mazarin peut l’être lui-même