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FÉNELON.

son ne fait que trop sentir le prix des personnes vraies, douces, sûres, raisonnables, sensibles à l’amitié, et au-dessus de tout intérêt. » Une seule fois, on lui surprend encore une curiosité d’esprit, c’est pour le prince Eugène, en qui il a cru apercevoir un vrai grand homme. Il avoue qu’il serait curieux de le connaître et de l’observer :


« Ses actions de guerre sont grandes ; mais ce que j’estime le plus en lui, c’est des qualités auxquelles ce qu’on appelle fortune n’a aucune part. On assure qu’il est vrai, sans faste, sans hauteur, prêt à écouter sans prévention, et à répondre en termes précis. Il se dérobe des moments pour lire ; il aime le mérite, il s’accommode à toutes les nations ; il inspire la confiance : voilà l’homme que vous allez voir. Je voudrais bien le voir aussi dans nos Pays-Bas ; j’avoue que j’ai de la curiosité pour lui, quoiqu’il m’en reste peu pour le genre humain. »


La mort du duc de Beauvilliers (31 août 1714) acheva de briser les derniers liens étroits qui rattachaient Fénclon à l’avenir : « Les vrais amis, écrivait-il en cette occasion à Destouches, font toute la douceur et toute l’amertume de la vie. » C’est à Destouches aussi qu’il écrivait cette admirable lettre, déjà citée par M. de Bausset, sur ce qu’il serait à désirer « que tous les bons amis s’entendissent pour mourir ensemble le même jour, » et il cite à ce sujet Philémon et Baucis ; tant il est vrai qu’il y a un rapport réel, et que nous n’avons pas rêvé, entre l’âme de Fénelon et celle de La Fontaine.

C’est assez indiquer l’intérêt de ces lettres nouvelles. On y trouverait quelques détails de plus sur la dernière année de Fénelon (1714). La paix qui venait de se signer lui imposait de nouveaux devoirs :


« Ce qui finit vos travaux, écrivait-il à Destouches, commence les miens ; la paix qui vous rend la liberté me l’ôte ; j’ai à visiter sept cent soixante et quatre villages. Vous ne serez pas surpris que