Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
MAZARIN

ne parla que le second. M. de Bailleul, qui avait opiné en premier, avait commencé par donner l’exclusion à Mazarin, comme créature du cardinal de Richelieu : « Mais moi, dit le vieux Brienne, qui m’étais aperçu déjà plus d’une fois de la pensée secrète qu’avait la reine pour Son Éminence, je crus devoir parler avec plus de réserve. » Le fait est que la reine en était venue à ce point où l’on ne consulte que pour entendre l’avis qu’on désire tout bas et pour se faire pousser dans le sens où incline le cœur. Cette consultation finie, la reine avait fait son choix ; il ne s’agissait plus que de s’assurer du cardinal. Elle appela son premier valet de chambre, Beringhen, et lui rapporta ce qui venait de se dire : « Allez sur l’heure, ajouta-t-elle, en rendre compte au cardinal. Feignez d’avoir entendu par hasard tous ces détails. Épargnez ce pauvre président de Bailleul, qui est un bon serviteur ; vantez au cardinal le bon office que lui a rendu Brienne ; mais découvrez avant tout quels sont les sentiments du cardinal pour moi, et qu’il ne sache rien que vous ne sachiez, vous d’abord, quelle reconnaissance il témoignera de mes bontés. » Beringhen s’acquitta de sa commission ; il alla trouver le cardinal chez le commandeur de Souvré qui lui avait donné à dîner ce jour-là. Le cardinal y était à jouer avec Chavigny et quelques autres. Dès qu’il vit entrer Beringhen, devinant quelque message, il laissa les cartes à tenir à Bautru et passa dans une chambre voisine. La conversation y fut longue. Beringhen ne s’ouvrit d’abord qu’avec d’extrêmes précautions sur les bonnes intentions de la reine. Le cardinal ne témoigna ni joie ni surprise, fidèle à son habitude de dissimuler. Mais quand Beringhen, poussé par la réserve même qu’il rencontrait, eut dit positivement qu’il venait de la part de la reine, ce fut comme une baguette magique qui opéra :