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CAUSERIES DU LUNDI.

coula entre la mort de Richelieu et celle de Louis XIII, que Mazarin commença à s’ouvrir les avenues vers l’esprit et le cœur de cette princesse, à se justifier auprès d’elle par ses amis, et à se ménager peut-être quelque conversation secrète, dont elle-même faisait mystère à ses anciens serviteurs. Anne d’Autriche allait être régente : mais le serait-elle seule et toute-puissante comme elle le voulait, ou ne le serait-elle que moyennant un Conseil comme le voulait le roi ? Mazarin, qui devait être l’âme de ce Conseil, s’attacha à faire entendre à la reine qu’il importait assez peu à quelles conditions elle recevrait la régence, pourvu qu’elle l’eût du consentement du roi, et qu’ensuite, ce point obtenu, il ne lui manquerait pas de moyens pour dégager son autorité et gouverner seule. C’était lui faire pressentir dès lors qu’elle n’aurait point en lui un ennemi. Il est permis de croire que, dans ces premiers rapprochements, Mazarin, assez jeune encore, âgé seulement de quarante ans, ne négligea point d’user de ses avantages et de mettre en avant ces délicatesses de démonstrations dont il se trouvait si capable quand il en était besoin, et qui sont souveraines auprès de toute femme, surtout auprès d’une reine qui était aussi femme qu’Anne d’Autriche.

Brienne nous a très-bien raconté le moment décisif où, grâce à elle, Mazarin fixa de nouveau et plus solidement que jamais le nœud de sa fortune. Ce moment doit répondre aux premiers instants de la régence ou peut-être aux derniers jours de la maladie de Louis XIII. L’évêque de Beauvais, Potier, principal ministre alors, était incapable : la reine avait besoin d’un premier ministre ; mais qui prendrait-elle ? Elle consulta deux hommes qui avaient sa confiance, le président de Bailleul et le vieux secrétaire d’État Brienne. Celui-ci, qui raconta ensuite les détails de la conversation à son fils,