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CAUSERIES DU LUNDI.

il ne faut en avoir que par mégarde et sans y songer. Elles sont faites dans l’esprit de Tacite, qui creuse dans le mal. » Plus loin, après avoir cité des strophes d’Horace sur la paix, Fénelon arrive à rappeler une stance de Malherbe : « Voilà l’antique, dit-il, qui est simple, gracieux, exquis, voici le moderne qui a sa beauté. » Comme cela est bien dit ! comme la proportion, la nuance du moderne à l’antique, est bien observée, et comme on sent qu’il préfère l’antique ! Des traits sérieux et touchants traversent ces jeux de l’esprit. Ce fut une grande année pour Fénelon que cette année 1711. Le premier Dauphin était mort le 14 avril, et le duc de Bourgogne devenait l’héritier prochain et, selon toute apparence, très-prochain du trône. On aurait dit que, du fond de son exil de Cambrai, Fénelon recevait en plein le rayon, et qu’à côté de son royal élève il régnait déjà. Consulté par écrit sur toute matière politique ou ecclésiastique, arbitre très-écouté en secret dans les querelles du Jansénisme, redevenu docteur et oracle, il tenait déjà le grand rôle à son tour. Mais tout à coup les malheurs viennent fondre : la duchesse de Bourgogne meurt le 12 février 1712 ; le duc de Bourgogne la suit le 18, six jours après, âgé de vingt-neuf ans ; et toutes les espérances, toutes les tendresses, oserons-nous dire les ambitions secrètes, du prélat, s’évanouissent. On voit trace de sa douleur profonde jusque dans cette Correspondance badine ; mais que les paroles sont simples, vraies, et qu’elles rejettent bien loin toute maligne pensée ! Apprenant la mort de la princesse, qui précéda de si peu celle de son élève, Fénelon écrivait à Destouches (18 février) :


« Les tristes nouvelles qui nous sont venues du pays où vous êtes, Monsieur, m’ôtent toute la joie qui était l’âme de notre commerce : Quis desiderio sit pudor… Véritablement la perte est très--