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MADAME DE GRAFIGNY.

de Lorraine et de Vienne et d’assez grosses dettes, quand la chute de la Fille d’Aristide, comédie en cinq actes sur laquelle elle comptait fort, vint lui porter un coup fâcheux : « Elle me la lut, dit Voisenon ; je la trouvai mauvaise ; elle me trouva méchant. Elle fut jouée : le public mourut d’ennui, et l’auteur de chagrin. » Voilà bien de l’esprit hors de propos. Collé, qui passe pour caustique, parle mieux de Mme  de Grafigny mourante : « Sa mort m’a été très-sensible, écrit-il dans son Journal ; elle était du petit nombre des personnes que je m’étais réservé de voir depuis que je ne vais plus dans le monde. » Il paraît que, dans le monde et dans les salons, Mme  de Grafigny ne portait qu’un esprit assez ordinaire et même commun ; elle n’avait toute sa valeur et son mérite que dans l’intimité. Elle mourut donc le 12 décembre 1758, en partie victime de sa sensibilité d’auteur. Lorsqu’elle passait à Cirey vingt ans auparavant, elle ne se doutait pas, en jugeant l’excès de susceptibilité de Voltaire, qu’elle serait un jour elle-même auteur à ce point.