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CAUSERIES DU LUNDI.

vaux et par les devoirs que lui imposaient des obligations honorables, et par l’ambition naturelle à l’âge mûr ; cet homme judicieux sentait qu’il fallait se donner de nouveaux motifs de vivre à mesure qu’on perdait de la jeunesse. Il conseilla quelque chose de semblable à son amie. Quand il était obligé de quitter Paris, c’était elle qui tenait la plume à sa place, et qui, sous la direction de Diderot, continuait sa Correspondance littéraire avec les souverains du Nord. Elle fit des livres, ce qui ne l’empêchait pas de faire des nœuds, de la tapisserie et des chansons. « Continuez vos ouvrages, lui écrivait l’abbé Galiani ; c’est une preuve d’attachement à la vie que de composer des livres. » Avec un corps détruit et une santé en ruine, elle eut l’art de vivre ainsi jusqu’à la fin, de disputer pied à pied les restes de sa pénible existence, et d’en tirer parti pour ce qui l’entourait, avec affection et avec grâce. Elle mourut le 17 avril 1783, à l’âge de 58 ans. Nous la trouvons peinte durant les quatorze dernières années de sa vie, elle et toute sa société, dans sa Correspondance avec l’abbé Galiani ; cela vaudrait la peine d’un examen à part. Aujourd’hui je n’ai voulu qu’insister sur des Mémoires curieux et presque naïfs d’une époque raffinée, sur un monument singulier des mœurs d’un siècle, et aussi rappeler l’attention sur une femme dont on peut dire, à sa louange, que, dans tous ses défauts comme dans ses qualités, elle fut et resta toujours vraiment femme, ce qui devient rare.



On lit dans une Notice que M. Brunet a consacrée à son ami M. Parison après le décès de celui-ci, et quand on publia le Catalogue de sa bibliothèque, des détails nouveaux, et les plus précis, sur la publication et l’édition première des Mémoires de Mme  d’Epinay :