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FÉNELON.

tuellement à la suite d’une justification qu’il semble donner comme victorieuse, produit à la longue un singulier effet, et finit véritablement par impatienter ceux même qui sont le moins théologiens. J’appelle cela une douceur irritante, et l’impression qu’on éprouve vient bien à l’appui de cette remarque qu’avait déjà faite M. Joubert : « L’esprit de Fénelon avait quelque chose de plus doux que la douceur même, de plus patient que la patience. » C’est encore là un défaut.

Ce qui n’en est pas un, à coup sûr, c’est le caractère général de sa piété, de celle qu’il ressent et de celle qu’il inspire. Il y veut de la joie, de la légèreté, de la douceur ; il en bannit la tristesse et l’âpreté : « La piété, disait-il, n’a rien de faible, ni de triste, ni de gêné : elle élargit le cœur ; elle est simple et aimable ; elle se fait tout à tous pour les gagner tous. » Il réduit presque toute la piété à l’amour, c’est-à-dire à la charité. Cette douceur, chez lui, n’est pourtant pas de la faiblesse ni de la complaisance. Dans le peu qu’on nous donne ici de ses conseils à Mme de Maintenon, il sait mettre le doigt sur les défauts essentiels, sur cet amour-propre qui veut tout prendre sur soi, sur cet esclavage de la considération, cette ambition de paraître parfaite aux yeux des gens de bien, enfin tout ce qui constituait au fond cette nature prudente et glorieuse. Il y a d’ailleurs, dans l’ensemble des Lettres spirituelles de Fénelon, une certaine variété par laquelle on le voit se proportionner aux personnes, et il devait surtout y avoir de cette variété dans sa conversation. Les Entretiens que nous a transmis Ramsai, et dans lesquels Fénelon lui développa les raisons qui devraient amener victorieusement, selon lui, tout déiste à la foi catholique, sont d’une largeur, d’une beauté simple, d’une éloquence pleine et lumineuse qui ne laisse rien à désirer. De même que