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CAUSERIES DU LUNDI.

son siècle. Son livre se place entre celui de Duclos : les Confessions du Comte de ***, et le livre de Laclos : les Liaisons dangereuses ; mais il est plus dans le milieu du siècle que l’un et que l’autre, et il nous en offre un tableau plus naturel, plus complet, et qui en exprime mieux, si je puis dire, la corruption moyenne.

On se rappelle peut-être dans le vieux poëte Mathurin Régnier une admirable satire (la XIIIe), dans laquelle le poëte se représente écoutant derrière une porte les odieux conseils que donne la vieille Macette à une jeune fille dont il est amoureux : Macette, qui se croit seule avec la jeune fille, lui parle ainsi, en des vers que le Tartufe de Molière ne surpassera pas :


Ma fille. Dieu vous garde et vous veuille bénir !
Si je vous veux du mal, qu’il me puisse advenir !…
À propos, savez-vous, on dit qu’on vous marie.
Je sais bien votre cas : un homme grand, adroit.
Riche.  .  .  .  .  ..  .  .  .  .  .
Il vous aime si fort ! Aussi pourquoi, ma fille,
Ne vous aimerait-il ? Vous êtes si gentille,
Si mignonne et si belle, et d’un regard si doux,
Que la beauté plus grande est laide auprès de vous,
Mais tout ne répond pas au trait de ce visage
Plus vermeil qu’une rose et plus beau qu’un rivage.
Vous devriez, étant belle, avoir de beaux habits ;
Éclater de satin, de perles, de rubis…
Ma foi ! les beaux habits servent bien à la mine.
On a beau s’agencer et faire les doux yeux.
Quand on est bien parée, on en est toujours mieux.
Mais, sans avoir du bien, que sert la renommée ?



Et elle continue, sur ce ton, de prêcher l’usage utile de la beauté et de la jeunesse. On trouverait de semblables conseils dans un bien vieux poëme français, le Roman de la Rose ; c’est une vieille aussi, qui développe à l’un des personnages allégoriques du roman les préceptes de