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CAUSERIES DU LUNDI.

qui la lui avait faite à elle-même.) La timidité m’a souvent donné les apparences de la dissimulation et de la fausseté ; mais j’ai toujours eu le courage d’avouer ma faiblesse pour détruire le soupçon d’un vice que je n’avais pas.

« J’ai de la finesse pour arriver à mon but et pour écarter les obstacles ; mais je n’en ai aucune pour pénétrer les projets des autres.

« Je suis née tendre et sensible, constante et point coquette.

« J’aime la retraite, la vie simple et privée ; cependant j’en ai presque toujours mené une contraire à mon goût…

« Une mauvaise santé, et des chagrins vifs et répétés, ont déterminé au sérieux mon caractère naturellement très-gai.

« Il n’y a guère qu’un an que je commence à me bien connaître. »


Rousseau a parlé d’elle dans ses Confessions avec peu de justice, même en ce qui concerne la beauté ; il a insisté sur de certains agréments, essentiels selon lui, et qui auraient manqué à Mme  d’Épinay ; il a parlé d’elle, enfin, comme un amoureux qui n’aurait pas été écouté. Diderot est plus juste, et il nous peint à ravir Mme  d’Épinay à cet âge de la seconde jeunesse, un jour qu’il était à la Chevrette, pendant qu’elle et lui faisaient faire leur portrait :


« On peint Mme  d’Épinay en regard avec moi, écrit Diderot à Mlle  Voland ; elle est appuyée sur une table, les bras croisés mollement l’un sur l’autre, la tête un peu tournée, comme si elle regardait de côté ; ses longs cheveux noirs relevés d’un ruban qui lui ceint le front. Quelques boucles se sont échappées de dessous ce ruban ; les unes tombent sur sa gorge, les autres se répandent sur ses épaules, et en relèvent la blancheur. Son vêtement est simple et négligé. »


Et revenant quelques jours après sur le même portrait, il dit encore dans un tour charmant :


« Le portrait de Mme  d’Épinay est achevé ; elle est représentée la poitrine à demi nue ; quelques boucles éparses sur sa gorge et sur ses épaules ; les autres retenues avec un cordon bleu qui serre