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HUET

neuf ou dix in-folio, si chaque chose n’avait été dite qu’une seule fois. Il en exceptait les détails de l’histoire, c’est une matière sans bornes ; mais, à cela près, il y mettait absolument toutes les sciences, tous les beaux-arts. Un homme donc, à l’âge de trente ans, disait-il, pourrait, si ce recueil se faisait, savoir tout ce que les autres hommes ont jamais pensé. » Voilà ce que j’appelle un savant qui n’est pas entiché, et vraiment honnête homme, un savant qui ne se sent pas de son métier ni de son clocher. C’est lui encore qui, dans une comparaison aussi juste que spirituelle, a dit :


« Je compare l’ignorant et le savant à deux hommes placés au milieu d’une campagne unie, dont l’un est assis contre terre et l’autre est debout. Celui qui est assis ne voit que ce qui est autour de lui, jusqu’à une très-petite distance. Celui qui est debout voit un peu au delà. Mais ce peu qu’il voit au delà a si peu de proportion avec le reste de la vaste étendue de cette campagne, et bien moins encore avec le reste de la terre, qu’il ne peut entrer en aucune comparaison, et ne peut être compté que comme pour rien. »


Ainsi Huet ne se croyait pas en droit de mépriser les moins savants que lui ; il était tout à fait sur ce point de l’avis de Fontenelle, « qu’on est ordinairement d’autant moins dédaigneux à l’égard des ignorants, que l’on sait davantage, car on en sait mieux combien on leur ressemble encore. »

L’étude ne rendait Huet ni mélancolique, ni rêveur ; sa santé ne se ressentit jamais de son application. L’étude était si naturellement son fait et sa vocation, sa passion à la fois et son jeu, que, loin de le fatiguer, elle le laissait toujours plus libre, plus allègre et plus dispos après qu’auparavant. Un écrivain, qui était assez de l’école de Huet en philosophie, a dit : « La vie humaine réduite à elle-même et à son dernier mot serait trop