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CAUSERIES DU LUNDI.

montrent que Fénelon n’était pas du tout un évêque selon l’ordination par trop commode de La Harpe, de d’Alembert et de Voltaire. Une partie des lettres nouvelles (et ce ne sont point d’ailleurs les plus intéressantes) sont adressées à M. de Bernières, alors intendant du Hainaut et ensuite de Flandre. Ce M. de Bernières, issu, si je ne me trompe, d’une famille très-liée avec Port-Royal, était homme de bien, d’un bon esprit, et vivait en parfait accord avec l’archevêque de Cambrai. En mars 1700, Fénelon lui écrit pour régler, de concert avec lui, l’observation des lois de l’Église pour le Carême : « Il m’a paru, dit le prélat, que la règle ne se rétablirait jamais, si on ne se hâtait de la renouveler après dix ans de dispense continuelle. La paix est confirmée depuis plus de deux ans ; l’hiver est doux ; la saison est assez avancée, et on doit avoir plus de légumes que les autres années ; la cherté diminue tous les jours. Si nous laissions encore les peuples manger des œufs, il en arriverait une espèce de prescription contre la loi, comme il est arrivé pour le lait, pour le beurre et pour le fromage… » Voilà donc Fénelon évêque tout de bon et dans le plus strict détail, et y attachant de l’importance. Mais tout à côté on retrouve, même dans ces sortes de détails, le Fénelon de la tradition, le Fénelon populaire. M. de Bernières, en ce même Carême de 1700, réclamait sans doute pour l’armée certaines dispenses de régime, et Fénelon s’empresse de les accorder aux soldats ; mais « il n’y a pas d’apparence, Monsieur, ajoute-t-il, que j’accorde aux officiers, payés par le roi, une dispense que je refuse aux plus pauvres d’entre le peuple. » Ce sentiment d’équité en vue surtout des petits, ce bien du peuple le préoccupe encore visiblement en d’autres endroits ; mais ceci ne nous apprendrait rien de nouveau, et je passe aux autres lettres du Recueil.