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CAUSERIES DU LUNDI.

piété. On envoya des maçons alors pour la détruire et n’en pas laisser pierre sur pierre : elles continuèrent de se rassembler pour prier sur les décombres. Quand on envoya des soldats pour enlever d’abord quarante filles, puis une trentaine qui restaient, ce fut dans les masures de la chapelle, comme dans un fort, qu’elles allèrent se réfugier, protestant jusqu’à la fin contre la violation de leurs vœux. On avait tout employé pour les disperser, jusqu’à défendre à l’économe de leur fournir de la nourriture, et à vouloir les réduire par la famine, comme des assiégées. Mais rien n’y fit ; elles ne se rendirent pas ; il fallut la violence et les dragons de M. de Bâville pour consommer l’œuvre du Père de La Chaise. L’émotion que causèrent ces dernières scènes fut vive dans le public, et il en est resté sur cet Institut de l’Enfance une impression du genre de celles qui s’attachent aux touchantes et tragiques infortunes. À la Cour, ce fut toujours une note fâcheuse contre M. Daguesseau d’avoir eu une de ses filles à l’Enfance, et on crut que, sans cette circonstance qui lui donnait une couleur aux yeux de certaines gens, il aurait été Chancelier, comme son fils le devint depuis.

Il est assez difficile aujourd’hui, d’après l’état incomplet des documents, de se faire une idée très-précise du caractère de Mme  de Mondonville ; mais tout ce qu’on sait prouve, encore une fois, que ce dut être une personne d’une haute distinction, d’un caractère ferme, élevé, née pour le commandement, et d’une grande habileté de domination. Si la conjecture pouvait s’exercer au delà, je croirais volontiers qu’elle est venue trop tôt, et qu’elle s’est trompée de protecteurs en s’adressant aux amis et aux adhérents de Port-Royal. Il semble qu’avec les idées qui percent dans sa conduite et dans quelques articles de ses Constitutions, elle eût pu bien mieux