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M. JULES JANIN.

on dit, à la rivière, et faire concurrence par son livre avec la fin du monde qui semblait en train d’arriver tout de bon. Il changea alors courageusement de plan et de batterie, et se mit, pour plus de contraste, à chercher un sujet dans le siècle, non plus de Louis XV, mais de Louis XIV. De là le nouveau roman qu’il nous donne, et qui a pour héroïne la Supérieure et fondatrice d’un Institut de Toulouse, lequel fut détruit en 1686, comme affilié et un peu cousin-germain du monastère de Port-Royal.

Voilà un bien grave sujet, et on se demande de quel droit le roman y peut entrer. Je dirai, avant tout, qu’autant je trouverais inconvenant et irréfléchi qu’un romancier mît le pied dans Port-Royal, ce lieu de vérité et de sérieuse grandeur, autant il lui est permis peut-être de se glisser dans la maison de Toulouse qui s’intitulait la Congrégation des Filles de l’Enfance, et qui n’offre pas les mêmes caractères de vertu et d’austérité. On va en juger par la courte narration que j’essaierai de faire, et dans laquelle je résumerai ce qu’on sait de précis sur l’histoire de cette Congrégation. On sera mieux à même ensuite de voir quel parti M. Janin en a su tirer.

Mlle  Jeanne de Juliard, fille d’un Conseiller au Parlement de Toulouse, naquit en cette ville sous Louis XIII ; elle était belle, spirituelle, et fut très-recherchée de plusieurs partis. Parmi ceux qui se mirent sur les rangs, on citait M. de Ciron, fils d’un Président au même Parlement, et qui, malgré les convenances apparentes, fut évincé. Mlle  de Juliard épousa, le 13 décembre 1646, M. de Turle, seigneur de Mondonville, fils lui-même d’un conseiller au Parlement : nous sommes en pleine robe, et il n’y a de militaires que dans le roman. Le jeune M. de Ciron n’avait pas attendu ce jour du mariage pour rompre avec le monde : voyant la ruine de ses plus