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CAUSERIES DU LUNDI.

l’excès. Au lieu de se comporter comme un être indomptable, elle était devenue raisonnable et polie, se tenait selon son rang, et ne souffrait plus que les jeunes dames se familiarisassent avec elle, en trempant les mains dans le plat… » Voilà d’incommodes éloges et dont on se passerait bien. Mais on peut tout entendre sans scrupule à cette distance, et, en faisant la part d’hommage à la personne qui eut en don le charme, il faut oser voir les mœurs d’alors comme elles étaient. Il faut, quoi qu’il en coûte, se décider à sortir de la chambre de Mme  de Maintenon et de ce demi-jour de sanctuaire. On avait fait peindre la duchesse de Bourgogne en habit de dame de Saint-Cyr. Ce n’est pas sous cet habit-là qu’elle est, selon moi, le plus au naturel et le plus vraie.

Une question délicate se présente, plus délicate que celle du lansquenet : la duchesse de Bourgogne eut-elle des faiblesses de cœur ? Adorée de son jeune époux, et sachant prendre en main ses intérêts en toute rencontre, il ne paraît pas qu’elle eût pour sa personne un goût bien vif et bien tendre. Dès lors on ne voit pas ce qui l’aurait garantie de quelque autre penchant. Le spirituel auteur de la Notice, essayant sur ce point de contredire Saint-Simon et tous les contemporains, nous dit : « Pourquoi cette charmante princesse n’aurait-elle pas eu des amis, des admirateurs, et point d’amants ? » Et moi je me permets de poser la question précisément contraire : Pourquoi donc n’aurait-elle pas eu ce que presque toute princesse, toute grande dame se permettait d’avoir alors, et ce qu’elle passe aussi pour s’être légèrement accordé ? Saint-Simon, qui n’est nullement malveillant pour la duchesse de Bourgogne, nous raconte dans le plus grand détail, et comme le tenant des confidentes les mieux informées, les légers faibles de la princesse pour M. de Nangis, pour M. de Maulevrier, pour l’abbé de Polignac. Cet abbé.