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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE

lettre ; mais c’est de l’air modeste et du bon effet qu’il produit, et de la grâce qui en dépend. Pour tout le reste, il est impossible de voir dans ces pages autre chose qu’une charmante description physique, extérieure, mondaine, sans la moindre préoccupation des qualités intérieures et morales. Évidemment on s’en soucie, dans ce cas, aussi peu qu’on s’inquiète fortement du dehors. Que la princesse réussisse et plaise, qu’elle charme et amuse, qu’elle embellisse la Cour et l’égaie, qu’elle ait ensuite un bon confesseur, un confesseur jésuite et sûr, et que pour le reste elle soit et fasse comme il lui plaira, le roi son grand-père ne lui demande rien autre : c’est là l’impression qui résulte pour moi de cette lettre.

Mais il serait par trop bourgeois à nous d’aller demander au grand roi un genre de sollicitude qui serait celle d’un père de famille ordinaire. La moralité à tirer de cette première lettre ne me semblerait pas complète toutefois, si l’on ne mettait en regard une page des plus mémorables de Saint-Simon. Un jour, douze ans après, la jeune princesse était devenue l’ornement et l’âme de la Cour, l’unique joie de cet intérieur du roi et de Mme de Maintenon, de ces vieillesses moroses. Elle était enceinte. Le roi voulait aller à Fontainebleau ; en attendant il voulait ses voyages de Marly. En un mot, il ne souffrait d’être gêné en rien dans ses habitudes, et, comme sa petite-fille l’amusait et qu’il ne pouvait se passer d’elle, il fallait qu’elle fût de toutes ses parties coûte que coûte et au risque d’accident. Elle avait donc suivi son grand-père à Marly, et le roi se promenait après la messe auprès du bassin des Carpes, quand arriva une dame de la duchesse, tout empressée, et qui annonça au roi que, par suite du voyage, la jeune femme était en danger d’une fausse couche. Je traduis tout cela en prose bourgeoise et à la moderne. Le roi, plein de dépit, annonça