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mis à parler sur de simples notes, et, si je ne me trompe, aujourd’hui il combine ensemble ces diverses manières, en y ajoutant ce que la pure improvisation ne manque jamais de lui fournir. Le tout est enveloppé dans une sorte de circulation vive qui ne laisse apercevoir aucun intervalle, et qui fait que les jets du moment, les pensées méditées ou notées, les morceaux tout faits, se rejoignent, s’enchaînent avec souplesse, et se meuvent comme les membres d’un même corps. Tout orateur qui l’est véritablement sent toujours combien il lui reste de progrès à faire pour atteindre à cet idéal que les plus grands eux-mêmes ont désespéré de réaliser. M. de Montalembert a donc encore à gagner dans l’avenir, surtout s’il est vrai, comme l’a remarqué l’antique Solon dans de beaux vers qu’on a de lui, que l’accord parfait de la pensée et de l’éloquence ne se rencontre avec plénitude que de quarante-deux à cinquante-six ans. Observation large et juste, et qui ressemble à une loi ! Bien de vivants exemples, autour de nous, la confirmeraient.

Comme écrivain, M. de Montalembert a publié, en 1836, l’Histoire de sainte Élisabeth de Hongrie, une touchante et poétique légende dont il s’était épris durant un séjour en Allemagne. Il a traduit le livre des Pèlerins polonais du poëte Mickiewicz. Il a écrit aussi quelque chose contre les destructeurs des monuments gothiques. Mais son grand ouvrage, son œuvre capitale en perspective, est une Histoire de saint Bernard, depuis longtemps préparée, et que ses devoirs d’homme public l’ont empêché jusqu’ici de mener à fin. Deux volumes contenant les préliminaires, sur la formation, le développement et le rôle des Ordres monastiques au Moyen Âge, sont imprimés, mais non publiés. On le voit, ce n’est point l’unité qui manque à une telle vie.