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ment continu. Il y est d’une parfaite aisance. Il a peu de gestes, mais il possède la plus essentielle des parties qui concourent à l’action ; il a la voix, une voix d’un courant pur et d’une longue haleine, d’un timbre net et clair, d’un accent distinct et vibrant, très-propre à marquer les intentions généreuses ou ironiques du discours. Fils d’une mère anglaise, on croirait sentir dans sa voix, à travers la douceur apparente, une certaine accentuation montante qui ne messied pas, qui fait tomber certaines paroles de plus haut et les fait porter plus loin. Je demande pardon d’insister sur ces nuances, mais les anciens, nos maîtres en tout, et particulièrement en éloquence, y apportaient une minutieuse attention, et un grand orateur moderne a dit : « On a toujours la voix de son esprit. » Un esprit clair, net, ferme, généreux, un peu dédaigneux, marque tout cela dans sa voix. Ceux dont la voix n’est pas l’organe expressif et sensible de ces moindres nuances du dedans ne sont pas faits pour produire, comme orateurs, des impressions pénétrantes.

M. de Montalembert improvise-t-il ou récite-t-il en partie ? a-t-il écrit des portions de discours à l’avance ou ne les a-t-il que préparées ? Ce sont des questions qui tiennent au secret de chacun, et sur lesquelles il serait difficile de se prononcer par conjecture. Si j’en crois de bons renseignements, M. de Montalembert, dans son procédé de composition oratoire, a passé par les différentes phases qui sont familières aux gens du métier. Au début, il a commencé simplement par écrire ses discours et par les lire, puis par les réciter. La plume, en effet, est le premier, on l’a dit[1], le plus sûr des maîtres pour façonner à la parole. Enhardi bientôt, il s’est

  1. « Stylus optimus et præstantissimus dicendi effector ac magister. » Cicéron (De Oratore, I, 33).