sentiments vifs et réels. On ne saurait donc s’étonner si, en lisant ces pages, à côté de touches charmantes et de pensées toutes faites pour émouvoir, on en rencontre beaucoup d’autres artificielles, et si l’on n’y sent pas tout l’homme. Nous avions dans les Méditations la poésie pure : aurons-nous ici la réalité vive ? Non ; nous aurons une demi-réalité, de la poésie encore, mais de la poésie de seconde veine, de la poésie mise en roman.
Je sens combien j’ai à demander pardon pour ma témérité à plusieurs de nos jeunes lecteurs et surtout de nos lectrices[1]. Ces pages de Raphaël renferment, en effet, plus de jolies choses qu’il n’en faut pour séduire, à une première lecture, des esprits et des cœurs qui portent en eux la facilité de l’admiration, et qui ne cherchent qu’un prétexte pour être charmés. Raphaël est un livre d’amour écrit avec de prodigieux défauts, mais aussi avec des qualités rares, par la plume de ce temps-ci la plus riche, la plus abondante et la plus flexible. Les défauts qui y circulent, et qui souvent y débordent, sont précisément les défauts de notre temps, c’est-à-dire ceux auxquels les lecteurs ordinaires sont le moins sensibles, tellement que quelques-uns vont peut-être jusqu’à y être sensibles dans un sens inverse et à y voir des beautés. En tout cas, quand on est jeune, fût-on la distinction même, on glisse vite sur ces défauts à une première lecture ; on s’attache à ce qui plaît, à ce qui nous offre l’expression idéalisée la plus moderne de nos sentiments, de notre situation ou de notre désir. Ces pages, qui n’ont servi encore à
- ↑ Et aussi à mon ami, M. Arsène Houssaye, qui s’est fait leur interprète dans le Constitutionnel, au premier moment de la publication de Raphaël. Le gracieux poëte des roses et de la jeunesse voudra bien me pardonner d’être moins jeune et moins indulgent que lui.