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sur un point important je voudrais qu’on marquât bien la conclusion à l’avantage de la duchesse de Mazarin. Celle-ci, en effet, au milieu de tout ce qui pouvait la faire déchoir, sut toujours tenir son rang et se concilier ce qu’il faut bien appeler (je ne sais pas un autre mot) de la considération. Elle la devait sans doute en partie à la mémoire de son oncle, à ses richesses, à ses grandes relations, mais aussi à son caractère et à son attitude : « Mme de Mazarin n’est pas plus tôt arrivée en quelque lieu, dit Saint-Évremond, qu’elle y établit une maison qui fait abandonner toutes les autres. On y trouve la plus grande liberté du monde ; on y vit avec une égale discrétion. Chacun y est plus commodément que chez soi, et plus respectueusement qu’à la Cour. » Voilà le mérite principal, l’art de vivre et de régner qui a immortalisé Hortense et sauvé son renom. Elle eut, après tout, de la justesse et de l’économie jusque dans la prodigalité de ses qualités et de ses dons ; elle ne se contenta pas d’avoir de l’esprit, elle l’aima chez les autres ; elle rechercha les lumières, chose alors nouvelle, et sut partout s’entourer d’un cercle d’hommes distingués ; elle vécut enfin et mourut comme une grande dame, tandis que la pauvre Sidonia, avec tout son esprit et ses grâces, a fini comme une aventurière. Encore une fois, son nom est tout trouvé : c’est la Manon Lescaut du xviie siècle.

Dans un temps où il y aurait encore une librairie de luxe, on devrait bien réimprimer ce petit volume de Mme de Courcelles[1].


  1. Les Mémoires et Correspondance de la marquise de Courcelles ont été depuis réimprimés et publiés par M. Paul Pougin, dans la Bibliothèque elzévirienne de Jannet, 1855.