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pliquer. J’ai des lumières et connais mieux que personne ce que je devrais faire, quoique je ne le fasse quasi jamais. »


On peut rêver devant un tel portrait toute une destinée de plaisir, de folie et de malheur. La jeune Sidonia était née un peu tard ou un peu tôt. Elle aurait dû naître à temps pour être de la Fronde ; elle y aurait pris place régulièrement après Mme de Chevreuil, Mme de Longueville et la Palatine, à côté de Mmes de Montbazon, de Châtillon et de Lesdiguières. Elle aurait pu naître un peu plus tard et être tout simplement Manon Lescaut.

La destinée se joua d’elle en la jetant au début de la grande époque de Louis XIV, de ce règne où tant de choses galantes étaient permises, mais où il fallait, jusque dans le désordre, une certaine régularité. Elle commença d’emblée par le plus scabreux de l’intrigue. Elle s’était brouillée, en repoussant Maulevrier, avec la famille des Colbert ; elle sut plaire au grand rival de Colbert, à Louvois. Ce ministre, alors âgé de trente-six ans, la vit à l’Arsenal, où M. de Courcelles était employé dans l’artillerie et où elle logeait. La voir et l’aimer ne fut pour Louvois qu’une même chose. Il était venu un matin à l’Arsenal pour voir des canons ; elle sortait pour aller à la messe aux Célestins : « Il me reconnut, dit-elle, à ma livrée, mit pied à terre et me mena à la messe, et l’entendit avec moi. Quoique je ne me connusse guère aux marques d’une passion naissante, je ne laissai pas de comprendre que cette démarche d’un homme aussi brusque et aussi accablé d’affaires me voulait dire quelque chose. » Le malheur voulut qu’elle prit aussitôt pour Louvois une aversion presque égale à celle qu’elle avait pour son mari, et qu’elle se mît en tête de le leurrer. Être mal avec les Colbert, et vouloir jouer au plus fin avec Louvois, c’était se préparer un péril-