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mie parfaite qui épouse son sujet tout entier avec tendresse et réussit, après un peu de résistance, à nous le faire aimer et embrasser jusque dans ses replis. Toutes ces qualités et ces mérites, sauf les légers inconvénients que le goût nous obligeait de ressentir, font, à nos yeux, de M. Walckenaer le plus ample, le plus instructif et, si je puis dire, le plus serviable des biographes.

Comment la figure de Mme de Sévigné ressort-elle de cette étude ? Elle en sort telle que la première vue nous l’avait offerte, et plus que jamais pareille à elle-même. On se confirme, après étude et réflexion, dans l’idée qu’une première et franche impression nous avait laissée d’elle. Et d’abord, plus on y songe, et mieux on s’explique son amour de mère, cet amour qui, pour elle, représentait tous les autres. Cette riche et forte nature en effet, cette nature saine et florissante, où la gaieté est plutôt dans le tour et le sérieux au fond, n’avait jamais eu de passion proprement dite. Orpheline de bonne heure, elle ne sentit point la tendresse filiale ; elle ne parle jamais de sa mère ; une ou deux fois il lui arrive même de badiner du souvenir de son père ; elle ne l’avait point connu. L’amour conjugal, qu’elle essaya loyalement, lui fut vite amer, et elle n’eut guère jour à s’y livrer. Jeune et belle veuve, à l’humeur libre et hardie, dans ce rôle d’éblouissante Célimène, eut-elle en secret quelque faible qu’elle déroba ? Une étincelle lui traversa-t-elle le cœur ? Fut-elle jamais en péril d’avoir un moment d’oubli avec son cousin Bussy, comme M. Walckenaer, en Argus attentif, inclinerait à le croire ? Avec ces spirituelles rieuses on ne sait jamais à quoi s’en tenir, et on serait bien dupe souvent de s’arrêter à quelques mots qui, chez d’autres, diraient beaucoup. Le fait est qu’elle résista à Bussy, son plus dangereux écueil, et que, si elle l’agréa un peu, elle ne