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siècles, d’Hacqueville soit revenu au monde, qu’il se mette à se ressouvenir de ce temps-là, à nous entretenir de Mme  de Sévigné et de ses amis, à vouloir tout nous dire et ne rien oublier ; imaginez le récit intime, abondant, interminable, que cela ferait, un récit doublé et redoublé de circuits sans nombre et de toutes sortes de parenthèses ; — ou, mieux encore, imaginez une promenade que nous ferions à Saint-Germain ou à Versailles en pleine Cour de Louis XIV, avec d’Hacqueville pour maître des cérémonies et pour guide : il donne le bras à Mme  de Sévigné, mais il s’arrête à chaque pas, avec chaque personne qu’il rencontre, car il connaît tous les masques, il les accoste un à un, il les questionne pour mieux nous informer ; il revient à Mme  de Sévigné toujours, et elle lui dirait : « Mais, les d’Hacqueville, à ce train-là, nous n’en sortirons jamais. » C’est tout à fait l’idée qu’on peut prendre du livre de M. Walckenaer, plein d’intérêt et de longueur, qui ressemble à la promenade en zigzag dont nous parlions ; c’est un livre qui rendrait Mme  de Sévigné bien reconnaissante et qui l’impatienterait un peu ; elle dirait de son d’Hacqueville biographe, comme elle disait de l’autre quand elle le voyait se prodiguer pour des personnes du dehors : « Il est, en vérité, un peu étendu dans ses soins. » Mais la reconnaissance surnagerait, et elle doit à plus forte raison surnager chez nous, qui ne sommes point Mme  de Sévigné, et que cet habile homme, informé comme on ne l’est pas, initie à tant de choses que, sans lui, nous n’aurions jamais eu chance de savoir. Ajoutez le parfum d’honnêteté antique qui circule à travers ces pages et qui trouve moyen de se mêler jusqu’au milieu de la chronique scandaleuse à laquelle elles sont souvent consacrées, un profond et naïf amour des Lettres et de tout ce qu’elles amènent de délicat avec elles, une bonho-