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tient, le contraire du grossier, du facile et du vulgaire ; et, dans l’intervalle des grandes œuvres, je m’accommoderais fort bien d’y aller voir encore, comme un de ces soirs, Louison et le Moineau de Lesbie.

Ce qu’il faut de plus en plus à la France, appelée indistinctement à la vie de tribune et jetée tout entière sur la place publique, c’est une école de bonne langue, de belle et haute littérature, un organe permanent et pur de tradition. Où le trouver plus sûrement qu’à ce théâtre ? On y va voir et entendre ce qu’on n’a plus le temps de lire. La vie publique nous envahit ; des centaines d’hommes politiques arrivent chaque année des départements avec des qualités plus ou moins spéciales et des intentions que je crois excellentes, mais avec un langage et un accent plus ou moins mélangés. Tout cela pourtant est voué par devoir et par goût à la parole et à l’éloquence. Où se former en se récréant ? Sera-ce à voir les gracieuses esquisses, les charmantes bluettes des petits théâtres, où l’esprit tourne trop souvent au jargon ? Les salons proprement dits, les cercles du haut monde ont disparu, ou, s’il s’en rouvrait encore, ils ne feraient que retentir, tout le soir, de la politique du matin. Mais le Théâtre-Français est là. Gouvernement, maintenez-le de plus en plus à l’état d’institution ; de ce que vous êtes républicain vous-même, n’en concluez pas qu’il faille le laisser se régir à l’état de république. Appréciez mieux les inconvénients et les différences. Qu’il n’y ait là du moins qu’un maître et qu’un roi, comme dit Homère, mais un roi que vous ferez responsable, et que vous-même surveillerez.

Il y avait quelque chose qu’on appelait autrefois la censure pour les théâtres, vilain nom, nom odieux, et qu’il faut dans tous les cas supprimer. Est-ce à dire qu’il faille supprimer toute surveillance ? Est-ce convenable