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un premier centre, un foyer autour duquel pourraient se reformer une galerie habituelle et quelques juges.

Pour mon compte, je n’ai pas si mauvaise idée du public pris en masse, mais à condition qu’il soit suffisamment averti. « Combien faut-il de sots pour composer un public ? » disait un homme d’esprit ironique. Je suis persuadé que cet homme d’esprit avait tort, qu’il disait une chose piquante et fausse. Un public n’est jamais composé de sots, mais de gens de bon sens, prudents, hésitants, dispersés, qui ont besoin le plus souvent qu’on les rallie, qu’on leur dégage à eux-mêmes leur propre avis et qu’on leur indique nettement ce qu’ils pensent. Cela est vrai de tous les publics, grands ou petits, même de ceux qui sont déjà un choix. Pour revenir au point tout particulier d’où je me suis éloigné, cela est vrai même des comités dramatiques. Les petits sénats dirigeants obéissent à un petit nombre qui les mène. En telle matière, le plus simple est encore d’en revenir à l’unité. Il s’agit de la bien choisir. Le bon choix une fois fait, tout s’ordonne. Ayez une bonne Direction au Théâtre-Français ; qu’elle sente que la responsabilité pèse sur elle, qu’elle ait intérêt à ce que le théâtre vive et prospère, se renouvelle le plus possible tout en se maintenant dans les grandes lignes des chefs-d’œuvre. On serait assez embarrassé de donner une définition précise du Théâtre-Français eu égard à ce qu’il doit être désormais. On a tant dit qu’il dégénérait ; et nous l’avons vu se relever tout à coup du côté où l’on s’y attendait le moins, et la tradition s’y réconcilier avec la jeunesse. Tandis qu’une grande actrice y rendait la vie et la fraîcheur aux chefs-d’œuvre, de légers et poétiques talents y introduisaient la fantaisie moderne dans sa plus vive étincelle. Je définirais au besoin le Théâtre-Français d’après le rôle qui, plus que jamais, lui appar-