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la restauration de l’esprit public et du goût. Après 1814, la Comédie-Française eut à peine un instant d’éclipse ; durant toute la Restauration, nous l’avons vue briller du plus vif et du plus pur éclat. Sans vouloir faire tort à aucun des poëtes dramatiques d’alors, on accordera peut-être qu’elle possédait en Talma le premier de ces poëtes, le plus naturellement inventeur, créant des rôles imprévus dans des pièces où ils n’eussent point été soupçonnés sans lui, créant aussi ces autres rôles anciens qu’on croyait connus, et sur lesquels il soufflait la vie avec une inspiration nouvelle. Depuis qu’il eut disparu et Mlle  Mars après lui, on a pu dire que la Comédie-Française dégénérait ; et pourtant elle dure, elle s’est tout à coup rajeunie avec un jeune talent doué de grâce et de fierté[1] ; elle a des retours inattendus de faveur et de vogue auprès d’un public qui y raccourt au moindre signal et qui a le bon sens de lui demander beaucoup. Le public français, qui a si peu de choses en respect, a gardé la religion du Théâtre-Français ; il y croit : à chaque annonce d’une pièce nouvelle, il s’y porte avec espérance. Voilà ce qu’on est trop heureux de n’avoir qu’à entretenir. C’est ce théâtre qu’il s’agit surtout aujourd’hui de ne pas abandonner, de ne pas laisser diriger non plus par plusieurs et en famille (mauvaise direction, selon moi, en ce qu’elle est trop intime, trop commode, et, comme on dit aujourd’hui, trop fraternelle), mais de faire régir bien effectivement par quelqu’un de responsable et d’intéressé à une active et courageuse gestion.

Un spirituel écrivain, qui entendait très-bien la matière, M. Étienne, dans son Histoire du Théâtre-Français pendant la Révolution, a dit : « L’expérience a

  1. Mademoiselle Rachel