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que la fête pourrait avoir lieu sans trop lui déplaire, et, en même temps, l’intérêt était de plaire déjà à l’héritier présomptif et peut-être très-prochain du trône. Cette fois, c’est l’ami de Chaulieu, c’est La Fare qui, dans ses curieux Mémoires, va nous dire le fin mot :


« Quoique le roi fût effectivement en danger, il ne voulait pas qu’on le crût. Ainsi, cette maladie n’empêcha pas que, pour divertir Monseigneur à Anet, M. de Vendôme, l’abbé de Chaulieu et moi, nous n’imaginassions de lui donner une fête, avec un opéra dont Campistron, poëte toulousain aux gages de M. de Vendôme, fit les paroles, et Lully, notre ami à tous, fit la musique. Cette fête coûta cent mille livres à M. de Vendôme, qui n’en avait pas plus qu’il ne lui en fallait ; et comme M. le grand-prieur, l’abbé de Chaulieu et moi avions chacun notre maîtresse à l’Opéra, le public malin dit que nous avions fait dépenser cent mille francs à M. de Vendôme pour nous divertir nous et nos demoiselles ; mais certainement nous avions de plus grandes vues que cela. »


Ces grandes vues, encore une fois, c’était de plaire sans doute au Dauphin qui devait régner, et de placer l’enjeu sur sa tête. Dangeau, qui fut de la fête, et qui ne manque pas de la relater dans son Journal, ne paraît pas s’être douté du dessous de cartes. Mais les événements déjouèrent ces espérances. Monseigneur ne régna ni alors ni depuis ; le roi en voulut à Messieurs de Vendôme de cette fête, et Chaulieu eut peut-être à combler la dépense par quelques-uns de ces comptes ambigus qui font tache aujourd’hui à sa mémoire. Les méchants couplets satiriques contre lui, dont j’ai parlé, sont de ce temps.

Cette maîtresse qu’il avait à l’Opéra, et qu’il a chantée, était Mlle Rochois. Il eut dans le monde une autre maîtresse très-agréable et l’une des femmes les plus distinguées d’alors, Mme d’Aligre, née Turgot, la même que La Bruyère a célébrée dans l’un de ses portraits les plus flatteurs. Ce portrait est très-singulier de physiono-