Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abus, et cet autre abus, cette dernière monstruosité entre toutes les autres, l’abbé courtisan et parasite. On a beau dire et vouloir dissimuler les noms, c’était là plus ou moins, à l’origine, le rôle de Chaulieu :

Accort, insinuant, et quelquefois flatteur,


il nous l’avoue lui-même.

La Bruyère, logé chez les Condé, usait de cet abri pour observer de là en moraliste et en philosophe. Mlle De Launay, dépendante chez la duchesse du Maine, souffrait de sa position, et s’en servait aussi pour observer. Chaulieu jouissait de la sienne chez les Vendôme, et en profitait au positif, tout en la chantant le verre en main.

Veut-on savoir comment se passait une soirée quelconque de ce beau monde si spirituel ?


« M. le marquis de Béthune, écrit Chaulieu à sa belle-sœur, est plongé dans les fureurs de la bassette. On n’en jouit plus. Il est toujours chez Mme la Comtesse (de Soissons). Il gagna hier trois cents pistoles. Le nombre des acteurs se montait à dix-sept ou dix-huit, entre lesquels brillaient M. et Mme de Bouillon, et M. de Vendôme, lequel, suivant son train ordinaire, perdit au moins la moitié de l’hôtel de Vendôme. Je n’en suis pas fâché. C’est une juste rétribution de Dieu, qui le punit de toutes les méchantes plaisanteries qu’il a faites sur la maladie de M. de Chaulieu (le frère de l’abbé)… »


Et on nous donne le détail de ces plaisanteries, qui sont des plus crues. Une autre fois, c’est le grand-prieur qui reprend publiquement une maîtresse qu’il avait quittée la veille au su et vu de tout Paris, et qui s’affiche avec ridicule ; mais cela est de tous les temps. L’ambition se mêlait sous ces désordres, et quelquefois ce qui passait pour une pure folie partait d’un calcul profond. Telle fut une certaine fête donnée, au château d’Anet, à Monseigneur, fils de Louis XIV (septembre 1686). Le roi alors était assez malade à la suite d’une opération, et ne le voulait point paraître. On crut donc