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rimeurs. Chaulieu, de bonne heure, par sa liberté de parole, s’était attiré bien des ennemis. Dès qu’on sut qu’il faisait des vers, on eut peur de lui ; il fut la terreur des sots ; il ne courut plus par le monde de chansons ni de vaudevilles qu’on ne les lui prêtât ; il s’en plaint lui-même. Quand éclata ce divorce des deux frères Vendôme, la malignité ne put manquer de s’en emparer à ses dépens. Elle avait pris les devants contre Chaulieu par de méchants couplets qu’on peut lire dans le recueil manuscrit de chansons dit Recueil de Maurepas (tome XXV, page 424), où sont enfouies tant de vilainies de tout genre[1].

Il est temps, ce me semble, de faire une remarque : c’est que notre siècle tant maudit a du bon. Nous avons bien des choses à regretter du passé et de ce qu’on appelle le grand siècle, nous en avons encore plus à répudier énergiquement. Les plus honnêtes gens faisaient ou disaient alors des choses qui ne seraient pas tolérables aujourd’hui. Ce n’est pas que nous valions mieux au fond : pris en masse, les hommes en tout temps se valent, et ils se donnent en général le plaisir de faire à peu près tout le mal qu’ils peuvent. Mais au moins, aujourd’hui, nous le faisons autrement, surtout avec plus de gêne et de réserve. Les mœurs publiques ont gagné par plus d’un endroit ; le grand jour de la publicité, en circulant, a assaini bien des foyers de corruption et bien des étables d’Augias. On a peine à se figurer à présent ce qu’étaient alors ces existences prodigieuses de princes bâtards tels que les Vendôme ; c’étaient de véritables monstruosités sociales, au sein desquelles se logeaient toutes les formes de licence et

  1. Le volumineux Recueil de Maurepas se trouve à la Bibliothèque nationale, au département des manuscrits.